Il y a, dans la solitude de l’écrivain, une forme de vertige. Ce vertige particulier naît une fois le point final apposé. Le manuscrit repose là, dans sa blancheur un peu trouble, habité de phrases, de personnages, de paysages mentaux. Et puis une question survient, brutale, presque indécente : « Est-ce que c’est bon ? » Non pas simplement fini, mais bon. Digne d’être lu. Digne de devenir un roman, un vrai, publié, partagé, offert au monde.
C’est là que commence un chemin autrement plus complexe que celui de l’écriture elle-même : celui du regard porté sur sa propre œuvre. Comment jauger ce que l’on a écrit ? Comment deviner si un éditeur pourrait s’y intéresser ? Comment savoir si ce roman que l’on tient entre ses mains mérite de franchir les seuils des maisons d’édition ?
Ce doute, fondamental, traverse tous les auteurs, même les plus aguerris. Ce doute est sain. Il est le signe que vous prenez votre travail au sérieux. Mais il a besoin d’être apprivoisé, guidé, nourri par une méthode autant que par une intuition. Car juger la qualité d’un roman n’est ni une science exacte, ni un pur acte de foi. C’est un dialogue, intérieur d’abord, puis extérieur.

Comment juger la qualité de son manuscrit ?
1. L’étape du manuscrit : une naissance encore informe
Écrire un premier jet, c’est poser les fondations d’un monde. Mais ce n’est pas encore un roman. C’est un manuscrit, un matériau brut, une ébauche vibrante mais souvent bancale. Le premier écueil, c’est de confondre ce manuscrit avec l’œuvre aboutie. Trop d’écrivains novices, grisés par l’émotion d’avoir « terminé », envoient leur texte aux éditeurs sans relecture sérieuse. Or un roman, c’est un manuscrit qui a mûri, qui a été confronté à la patience et au regard critique.
Demandez-vous donc, avec lucidité : ai-je retravaillé mon texte ? L’ai-je relu à voix haute ? Ai-je laissé reposer mes pages quelques semaines pour y revenir avec un œil neuf ? La qualité d’un roman ne se juge pas seulement sur l’idée de départ – aussi brillante soit-elle – mais sur la manière dont elle est incarnée, sur la langue, la structure, le rythme.
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2. La narration tient-elle la route ?
Un bon roman est un chemin que le lecteur suit sans trébucher – ou du moins, sans trébucher là où ce n’est pas voulu. La narration est fluide ? Cohérente ? Le fil du récit est-il tendu, habité, accrocheur ? Chaque chapitre a-t-il sa raison d’être ? Chaque scène pousse-t-elle le lecteur un peu plus loin dans l’histoire ?
Un test simple mais implacable : relisez votre roman comme si vous ne l’aviez pas écrit. Est-ce que vous avez envie de tourner les pages ? Est-ce que vous vous ennuyez à certains moments ? Où décrochez-vous, et pourquoi ? C’est à ces endroits qu’il faut intervenir. Le roman n’est pas une suite de chapitres, mais un élan : il faut entretenir le feu, scène après scène.
3. Les personnages sont-ils vivants ?
Il n’est pas rare, dans les manuscrits débutants, de croiser des personnages qui ressemblent à des esquisses, des archétypes ou, pire, des voix interchangeables. Or, ce qui donne chair à un roman, ce sont les êtres qu’il fait naître. Le lecteur ne croit pas à une intrigue, il croit à des gens.
Un bon roman, ce sont des personnages qui respirent, qui se heurtent, qui évoluent. Posez-vous des questions précises : vos personnages principaux ont-ils une trajectoire ? Un passé ? Des contradictions ? Des désirs ? Sont-ils capables de surprendre le lecteur – sans pour autant perdre leur cohérence ? Peut-on les reconnaître à leur manière de parler, de penser, d’agir ?
Pour tester cela, essayez cet exercice : retirez les noms de vos personnages et lisez quelques dialogues. Peut-on les distinguer uniquement à la voix ? Si tout sonne pareil, il y a un travail à faire sur la caractérisation.
4. Le style est-il maîtrisé, incarné ?
Le style n’est pas une décoration. C’est l’empreinte de votre regard sur le monde. Un bon roman ne se contente pas d’une histoire prenante : il dit quelque chose, il a une voix. Votre voix.
Mais attention : avoir un style, ce n’est pas écrire compliqué. C’est écrire juste. Une écriture maladroite, trop neutre, trop bavarde, trop ampoulée, peut noyer le récit. À l’inverse, une écriture tendue, précise, ciselée, peut sublimer une trame même simple.
Pour évaluer votre style, lisez-vous à haute voix. Est-ce que ça sonne ? Est-ce que ça vous ressemble ? Est-ce que chaque mot est à sa place ? Trop souvent, le style est laissé au hasard, alors qu’il devrait être l’outil principal de l’écrivain.
N’hésitez pas à vous relire en supprimant tous les adjectifs inutiles, les adverbes superflus, les tournures passives. Élaguer, c’est révéler ce qui compte vraiment.
5. Le regard des autres : précieux et à manier avec précaution
Une fois votre manuscrit travaillé, relu, corrigé, vous avez besoin d’un miroir : les lecteurs. Mais pas n’importe lesquels. Évitez les proches trop bienveillants ou les juges trop sévères. Cherchez des lecteurs bêta : des gens capables de lire avec attention et franchise, sans vous ménager mais sans vous écraser non plus.
Demandez des retours précis : ce qui les a captivés, ce qui les a laissés froids, ce qu’ils n’ont pas compris, ce qu’ils auraient aimé voir développé. Si plusieurs lecteurs butent sur les mêmes passages, ce n’est pas un hasard. Écoutez, puis décidez. Le texte est à vous. Mais l’écho des autres peut éclairer ses zones d’ombre.
Certaines plateformes en ligne, certains ateliers d’écriture, peuvent offrir ce type de regard extérieur structuré. Attention toutefois à ne pas tomber dans le piège de la validation à tout prix. Le but n’est pas d’être aimé, mais d’être lu avec justesse.
6. Se comparer avec les romans publiés : un exercice d’humilité
Prenez un roman que vous admirez, proche du vôtre dans le ton ou le genre. Lisez quelques chapitres. Puis lisez les vôtres. Non pas pour vous flageller, mais pour observer : le rythme, le niveau d’écriture, la profondeur des personnages, la construction. Votre texte tient-il la comparaison ? Ce n’est pas une question de génie ou de style flamboyant, mais de solidité, d’efficacité, de maturité littéraire.
Cette comparaison n’est pas là pour vous décourager, mais pour vous situer. Un roman prêt pour l’édition n’est pas un brouillon prometteur, c’est une œuvre achevée, tenue de bout en bout.
7. L’intuition : la voix intérieure que l’on doit écouter
Et puis il y a cette voix, en vous. Parfois elle doute, parfois elle sait. Il y a des moments où vous sentez, de manière presque physique, que ce que vous avez écrit tient. Ce n’est pas parfait, mais c’est vrai. Ça sonne juste. Ça vous dépasse un peu. Il y a là quelque chose qui mérite d’exister au-delà de vous.
C’est cette intuition qui doit guider, à la fin. Quand, après tous les doutes, toutes les relectures, tous les retours, vous sentez que ce manuscrit ne vous appartient plus tout à fait, alors il est temps de l’envoyer.
8. Le test de l’éditeur : l’ultime miroir
Évaluer son roman avant l’envoi aux éditeurs
Envoyer un manuscrit à des maisons d’édition, c’est une étape symbolique forte. C’est accepter de ne plus être seul avec son texte. C’est entrer dans un dialogue professionnel. Vous avez fait tout ce que vous pouviez, maintenant, c’est à eux de juger. Mais attention : un refus ne signifie pas que votre roman est mauvais. Il peut ne pas correspondre à la ligne éditoriale, ou tomber au mauvais moment. C’est pourquoi il est essentiel d’envoyer votre manuscrit à plusieurs maisons, bien ciblées, avec une lettre de présentation soignée.
Et si vous recevez des retours personnalisés, lisez-les avec attention. Parfois, une phrase, une remarque, peut tout changer. D’autres fois, le silence est long, pesant, mais il ne signifie pas que vous devez renoncer. Il signifie seulement que ce n’est pas encore le bon moment. Ou pas encore le bon texte. Mais peut-être le suivant.
Pour récapituler : écrire, c’est réécrire
La vraie question n’est peut-être pas « Est-ce que mon roman est bon ? » mais « Jusqu’où suis-je prêt à aller pour qu’il le devienne ? » Écrire un bon roman, ce n’est pas écrire d’un seul jet, dans une fièvre divine. C’est écrire, réécrire, douter, écouter, couper, reconstruire. C’est croire en son texte assez fort pour le remettre en cause, le remettre sur l’établi, encore et encore.
Un bon roman, ce n’est pas seulement une belle histoire. C’est une histoire bien racontée, habitée, traversée par une voix singulière. Si vous en êtes là, si vous avez pris le temps, si vous avez tout donné, alors oui, peut-être que votre roman est bon.
Et peut-être qu’il est temps qu’il rencontre ses lecteurs.