Les romans feel good font du bien quand on les lit. Mais font-ils vraiment du bien à notre intellect ? On peut se le demander…
Avant Noël, un magazine littéraire français m’a demandé de dresser une liste de mes livres feel good préférés. En entendant cette demande – ou en la lisant plutôt puisque cela s’est passé par courriel – je me suis dit : mais qu’ont tous ces médias à nous bassiner avec les romans feel good ! Ne s’intéressent-ils qu’à la sous-littérature ? Ou pensent-ils que les gens ne sont pas capables de lires des livres plus profonds et intelligents ?
De toute évidence, je n’étais pas le seul écrivain approché par le magazine – ma liste devait faire partie d’un article. À l’approche des fêtes de fin d’année, tout devient déprimant, et on a envie d’être heureux ou d’offrir un semblant de bonheur. Nous donnons donc aux gens des chocolats ou des romans feel good. Parfois, on obtient un résultat inverse à celui que l’on espérait : l’indigestion dans le cas des chocolats, le blues dans le cas des livres feel good. C’est peut-être l’effet que nous recherchons. On n’aime pas forcément les gens à qui on se croit obligé d’offrir des cadeaux. Ou nous ne les aimons pas assez pour leur offrir les cadeaux qu’ils aimeraient recevoir. Autrement dit, nous n’avons pas envie de nous casser la tête à réfléchir au cadeau que nous voulons offrir, donc nous allons vers la facilité évidente (ce que les magasins et les médias nous tannent depuis des mois) : la boite de chocolat ou le livre feel good. Et on se dit bêtement : si j’en ai entendu parler sur Internet, si c’est à la mode, c’est que ça doit être bien, ça lui plaira sûrement…
Bref, moi j’ai répondu au magazine : les romans feel good ne m’intéressent pas. Je n’en lis pas ! Éric Zemmour aurait envoyé balader la rédaction en répondant : « Je ne lis que des bons essais ou des grands auteurs. »
Je suppose que certains écrivains auraient aimé mettre leurs propres livres en tête de liste, mais bien sûr personne ne l’a fait. Si les écrivains sont presque toujours persuadés qu’ils ont du talent, plus de talent que les autres, ils savent feindre la pudeur. Cependant, je ne connais pas beaucoup d’écrivains qui seraient fiers d’avoir écrit un livre feel good. Il semblerait à la plupart d’entre eux qu’ils agiraient comme des prêtres, des psychothérapeutes ou des charlatans. D’une manière ou d’une autre, un écrivain prétend parler de ce que les gens vivent, pensent et ressentent. Cette réalité – s’ils y parviennent – n’est pas destinée à nous faire sentir bien. Elle n’est destinée à rien, bonne ou mauvaise. Elle se contente de naître, de grandir et de couler de toutes les manières possibles, comme l’eau. Souvent, cette réalité cache un abîme. Nous patinons paisiblement sur un lac gelé, regardant le ciel, comme une héroïne dans un roman russe ou un petit personnage dans un tableau de Bruegel, quand tout à coup la glace craque, et nous tombons dedans. C’est ce qui m’est arrivé. En dessous, l’eau est froide et on ne voit rien. Tout en bas, il y a d’énormes monstres qui ne voient jamais la lumière du jour. Vous les touchez, vous les sentez, vous les craignez. On ne les apprivoise pas, on ne sait pas exactement à quoi ils ressemblent, mais il est possible de décrire les perceptions, les sensations et les sentiments qu’ils suscitent et imposent.
Vous l’avez compris chers lecteurs, un livre n’est pas fait pour vous faire sentir bien.
Le but premier de la littérature, et cela depuis la nuit des temps, n’est pas de faire en sorte que les gens se sentent bien. Si vous vous sentez mal, allez voir le psy ! On peut donc se demander si le genre feel good n’est pas une dérive de la littérature. Une arnaque des maisons d’édition pour se remplir les poches…
Oui les amis, Noël approche à grands pas et le monde est en ruine, donc cela semble être le moment idéal pour parler d’histoires feel good. Je sais que les gens les ont définitivement appréciées un peu plus cette année, à la fois sous forme de livre, au cinéma et à la télévision. Beaucoup d’entre vous ont toujours été fans des romans feel good, et je n’ai jamais aimé le fait qu’ils aient un peu mauvaise réputation. Si je n’en lis pas, c’est qu’ils ne m’apportent rien et que je n’ai envie de perdre ni mon temps, ni mon énergie à lire du vent, de même que je ne regarde pas de nanars à la télé ! Mais cela n'engage que moi et je ne suis pas enclin à dégoûter les autres.
Tout comme les films « nanardesques », les romans « feel good » ont leur rôle à jouer : l’esprit a besoin de se reposer, un point c’est tout. Peut-on parler de livre pop-corn ?
Personnellement, pour me détendre, je fais du sport, je joue au bridge, je marche, je m’assieds face à la mer et je médite, je pense, je rêve… Mais pour les acharnés de la lecture qui aiment se détendre uniquement par la lecture, alors le roman feel good me paraît être une bonne option.
Les romans feel good sont souvent méprisés pour être légers, faciles à lire et stéréotypés, ce qui signifie que, par extension, les personnes qui les lisent sont parfois également confrontées à la condescendance. Voici pourquoi c’est stupide – mis à part le fait évident que mépriser les gens est juste une chose très merdique à faire.
Les romans feel good existent – et sont populaires – pour une raison : ils sont rapides à écrire, on nous les vend comme des petits pains, chaque lecteur peut en lire plusieurs par mois et ça rapportent gros. Du coup, les libraires les mettent bien en évidence sur leur présentoir principal, si bien que lorsque le chaland pousse la porte de la librairie, il se les prend directement dans la gueule.
Oui messieurs-dames, les gens aiment se sentir bien. Dans un monde où les soucis sont quotidiens, où l’anxiété règne en maître et vous pousse à bout de nerfs, quoi de mieux qu’une histoire sur le bonheur ? Une histoire pleine d’amour, de chaleur et de gentillesse peut être particulièrement réconfortante lorsque vous vous sentez désespéré ou triste. Même lorsque vous êtes de bonne humeur, une histoire feel good peut vous réjouir encore plus. N’est-ce pas une chose merveilleuse ?
Je pourrais avoir l’air de prêcher ici ! Je sais qu’il y a beaucoup de gens dans la communauté du livre qui aiment lire des histoires feel good, et je sais aussi qu’il y a un consensus général sur le fait que tout le monde devrait lire ce qu’il aime. Cependant, je pense que cette tendance à considérer les histoires feel good et de bonheur comme « simplistes et inutiles » est très répandue, et je le remarque également dans ma propre façon de penser. Quand je tombe sur une romance légère, j’ai tendance à la décrire comme « juste un roman d’amour amusant qui n’apporte rien à l’intellect ». Comme si un roman ne pouvait valoir la peine que s’il comportait des émotions, du chagrin ou des épreuves.
Quant à savoir d’où vient ce point de vue enraciné, j’oserais risquer une supposition éclairée et dire : le patriarcat. Vous pourriez rouler des yeux en m’entendant dire cela, mais c’est en fait très évident. Les romans feel good sont principalement (mais pas exclusivement !) consommés et appréciés par les femmes, et puisque les passe-temps et les intérêts des femmes ont traditionnellement été considérés comme étant triviaux et sans importance, il n’est pas si étrange que les histoires feel good soient rangées dans la même catégorie. Je ne suis évidemment pas d’accord avec ce sentiment, même un peu, mais c’est une bonne explication, et cela explique aussi pourquoi ma réaction instinctive est de minimiser mon intérêt pour ces histoires. Je ne veux pas être méprisé.
Mais j’en ai fini avec cette attitude. Les histoires feel good ont leur rôle à jouer dans notre société ! Pour ma part, je fais l’impasse sur ce genre de roman qui n’apporte rien, si ce n’est une détente passagère mais futile. Mais ce n’est que mon avis et je comprends pleinement que les romans feel good ont un rôle à jouer.
Bien sûr, il y a des romans feel good mal écrits, tout comme il y a des thrillers, des romans fantaisie et autres fictions du même genre mal écrits. Mais écrire un roman feel good demande autant de talent que d’écrire n’importe quelle autre histoire. Vous devez vous assurer que vos lecteurs se sentent investis dans l’histoire et les personnages encore plus qu’avec certains autres genres. Il en va de même pour écrire un bon dialogue percutant qui sort du lot. C’est un métier, un métier que j’admire. Quant aux romans feel good faciles à lire, cela ne signifie-t-il pas simplement qu’ils sont bien écrits !
Et qu’y a-t-il de si mauvais dans les histoires légères et stéréotypées de toute façon ? J’apprécie une bonne intrigue autant que les autres lecteurs, mais toutes les histoires n’en ont pas besoin. Quand une personne choisie un roman feel good, elle veut se sentir bien, l’intrigue est secondaire. Elle veut être réconfortée et s’immerger dans un monde avec des dénouements heureux. Pour mémoire, cela ne doit pas toujours inclure une intrigue amoureuse – elle peut porter sur l’amitié. Et si cette histoire prend une tournure à laquelle le lecteur ne s’attend pas, c’est un plus, mais pas forcément une nécessité. Si le lecteur veut absolument des rebondissements et du mystère, il prendra un roman policier.
À défaut d’être stimulé, l’esprit se repose.
Je sais que tout le monde n’aime pas les histoires feel good et c’est très bien. On ne peut pas tous aimer les mêmes choses – ça deviendrait ennuyeux de toute façon. Mais je pense que les gens devraient se méfier de rejeter un genre entier à cause de la réputation injuste qu’il a acquise au fil du temps. Les romans feel good, n’en déplaise, sont amusants et relaxants, et parfois cela peut être exactement ce dont le lecteur a besoin. Je suis très heureux que ces histoires existent et soient là pour que des gens en profitent. Surtout dans des moments difficiles comme ceux que nous vivons à l’heure actuelle, où nous pourrions tous être en demande d’un peu de bonheur.
Pour conclure, je dirai que dans le domaine du feel good, les grands gagnants sont ceux qui les écrivent : ils sont rapides à écrire (selon mes sources, un mois suffit amplement pour ceux qui sont rodés au genre), quasiment aucune recherche à faire (et cela économise un temps inimaginable, croyez-moi), et force est de constater qu’ils se vendent bien. Comme on dit dans le jargon : CQFD.
Et vous ? Aimez-vous les romans feel good, ou d’autres genres sont-ils plus réconfortants pour vous ? Donnez votre avis dans les commentaires !