Publié le mercredi 11 juin 2025 dans « Genres littéraires »
Le genre policier a donné naissance à une multitude de sous-genres, parmi lesquels le « whodunit » occupe une place emblématique. Abréviation de l’expression anglaise « Who [has] done it? », ce terme désigne une forme particulière de roman d’enquête centré sur la résolution d’un mystère criminel, généralement un meurtre, par la découverte de l’identité du coupable. Le lecteur, mis au défi par l’auteur, devient lui-même détective au fil des pages. À travers cet article, nous explorerons les origines du whodunit, ses caractéristiques essentielles, les types de récits qu’il englobe, ainsi que des exemples notables. Nous conclurons par une réflexion sur l’appartenance du célèbre Sherlock Holmes à ce genre.
Le whodunit trouve ses racines dans la littérature policière du XIXe siècle. Si l’on attribue souvent la création du roman policier à Edgar Allan Poe avec Les crimes de la rue Morgue (1841), c’est au début du XXe siècle que le whodunit se définit en tant que genre à part entière. Il connaît son apogée durant l’âge d’or du roman policier anglais, entre les années 1920 et 1940. Cette période est marquée par l’œuvre d’auteurs emblématiques tels qu’Agatha Christie, Dorothy L. Sayers ou encore G.K. Chesterton.
La montée en popularité du whodunit coïncide avec un changement dans les attentes du lectorat. Plutôt que des poursuites haletantes ou une violence spectaculaire, le public apprécie la subtilité d’une intrigue bien construite, la logique implacable d’une déduction, et la satisfaction intellectuelle que procure la résolution d’une énigme.
Le whodunit suit généralement une structure narrative rigoureuse. Un crime, souvent un meurtre, survient dans un cadre délimité (manoir, village, train, etc.). Un ensemble de suspects présentant chacun des mobiles et des opportunités est introduit. L’enquêteur, amateur ou professionnel, collecte les indices, interroge les suspects, et, par un raisonnement logique, identifie le coupable lors d’une révélation finale spectaculaire.
Le style du whodunit est souvent clair, dépourvu d’effets lyriques inutiles, et axé sur les faits. Le récit peut être narré à la première ou à la troisième personne, et l’auteur joue un jeu délicat avec le lecteur, en dissimulant des indices tout en les plaçant à la vue de tous.
Il existe plusieurs formes de whodunit :
Ces exemples montrent la diversité du whodunit, capable de se réinventer selon les époques, les cultures et les dispositifs narratifs. Des auteurs comme Anthony Horowitz, Sophie Hannah ou encore Ragnar Jónasson contribuent aujourd’hui à prolonger cette tradition en la renouvelant.
Le whodunit contemporain connaît un renouveau porté par de nouveaux auteurs et des supports variés. Anthony Horowitz, avec ses romans tels que La Maison de soie ou Magpie Murders, joue habilement avec les codes classiques tout en leur insufflant une modernité narrative. Sophie Hannah, choisie pour prolonger les enquêtes d’Hercule Poirot avec l’accord des ayants droit d’Agatha Christie, propose des intrigues complexes et actuelles.
Par ailleurs, la littérature nordique, avec des auteurs comme Ragnar Jónasson (série Dark Iceland) ou Camilla Läckberg, renouvelle le genre en l’ancrant dans des contextes sociaux contemporains, où la psychologie des personnages joue un rôle central. Le whodunit s’invite également dans les séries télévisées et les formats hybrides, à l’image de Only Murders in the Building ou de À couteaux tirés de Rian Johnson, qui redonnent ses lettres de noblesse au genre sur le petit et grand écran.
Ces œuvres contemporaines témoignent de la vitalité du whodunit, capable de s’adapter aux préoccupations modernes tout en conservant sa structure essentielle fondée sur l’énigme, le suspense et la révélation finale.
Le personnage créé par Arthur Conan Doyle incarne le détective rationnel et méthodique, dont la réputation repose sur une aptitude remarquable à déduire la vérité à partir d’observations apparemment insignifiantes. De prime abord, tout semble le rattacher au whodunit. Pourtant, une analyse approfondie permet de nuancer cette affiliation.
Bien que l’on classe souvent Sherlock Holmes parmi les figures emblématiques du whodunit, certains spécialistes considèrent que ses aventures relèvent davantage du roman d’énigme que du pur whodunit. En effet, dans plusieurs récits de Conan Doyle, l’identité du coupable est connue relativement tôt, et l’enjeu repose plutôt sur la manière dont Holmes parvient à démontrer sa culpabilité. Le plaisir de lecture ne vient pas tant de la découverte du « qui » (who), mais du « comment » (how) et du « pourquoi » (why).
Par exemple, dans Le Chien des Baskerville, l’ambiance gothique et l’élaboration de l’atmosphère priment sur le dévoilement progressif des suspects. De même, dans Une étude en rouge, la narration bifurquée et le récit à rebours éloignent l’intrigue d’une structure classique de whodunit.
Cependant, certains récits, comme Le Signe des Quatre ou Le mystère de la Vallée de Boscombe, adoptent une construction plus typique du whodunit, avec une énigme centrale, des suspects multiples et une révélation finale.
Il faut donc distinguer deux usages : Sherlock Holmes a influencé les auteurs de whodunit et en partage plusieurs mécanismes (rationalité, confrontation finale, indices), mais son univers littéraire est plus vaste que le seul cadre du whodunit. Il en est une préfiguration, un modèle partiellement conforme.
Le whodunit, genre à la fois intellectuel et ludique, continue d’inspirer la littérature contemporaine comme les séries télévisées. Son art de dérouter pour mieux révéler, de jouer avec les apparences pour aboutir à la vérité, en fait un exercice de style à part entière. Si Sherlock Holmes n’en est pas l’incarnation la plus pure, il n’en demeure pas moins une figure fondatrice dont l’ombre plane sur tout le genre. Le whodunit est ainsi moins une formule stricte qu’une tradition en évolution, nourrie par ses racines et renouvelée par ses variations.
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