Publié le samedi 12 avril 2025 dans « Genres littéraires »
Il est des mots-valises qui, par leur simple énoncé, éveillent l’imagination : romantasy est de ceux-là. À la croisée des chemins entre romance et fantasy, ce genre littéraire hybride a su s’imposer avec une ferveur presque mystique dans l’univers de la fiction contemporaine. Il incarne une promesse : celle d’une évasion passionnée où les cœurs battent au rythme des quêtes, des prophéties, des royaumes oubliés et des amours impossibles. Ce n’est pas un simple mélange de genres, mais bien une alchimie subtile, une fusion incandescente de sentiments et de sortilèges, de destins contrariés et de mondes enchantés.
Le genre romantasy, parfois désigné sous son nom complet romantic fantasy, ne naît pas d’hier. Si le terme est récent, l’idée qui le sous-tend s’enracine dans une tradition littéraire ancienne. Dès les premiers contes médiévaux, l’amour et la magie se côtoient. Qui pourrait oublier les étreintes tragiques de Tristan et Iseut, maudits par une potion d’amour ? Ou les charmes ensorceleurs de la fée Morgane, qui manipule les sentiments comme elle manipule les vents ? Ces récits fondateurs, teintés de merveilleux, posaient déjà les jalons d’un genre qui refuserait de choisir entre le frisson de l’amour et l’enchantement de l’ailleurs.
Ce n’est qu’à l’orée du XXIe siècle, toutefois, que la romantic fantasy trouve son nom, son audace, et surtout son public. Les succès phénoménaux de sagas comme Twilight de Stephenie Meyer ou Un palais d’épines et de roses de Sarah J. Maas ont catapulté ce genre dans la lumière. Ce n’est plus une romance avec un soupçon de surnaturel, ni une fantasy où l’amour n’est qu’un adjuvant secondaire : c’est une quête à double flamme, où le cœur et l’épée, le désir et la destinée, se disputent chaque page.
La romantasy propose des mondes entiers, souvent dystopiques ou féeriques, où les enjeux politiques et les conflits cosmiques se teintent d’émotions humaines. Les héroïnes – car il s’agit très souvent de femmes – y sont propulsées dans des univers où elles devront non seulement apprendre à survivre, mais aussi à aimer. Elles y rencontrent des rois déchus, des guerriers maudits, des ennemis irrésistibles, des dieux déchus. L’amour y est rarement simple. Il est interdit, dangereux, douloureux. Et c’est précisément dans cette tension que le genre tire sa puissance.
La romantasy dessine une cartographie affective complexe : chaque relation devient une énigme, chaque baiser un pacte, chaque trahison un sort. L’amour est ici une magie à part entière, parfois plus puissante que les arcanes anciens, plus redoutable que les malédictions. Il transforme les héros, les pousse à se dépasser, ou à sombrer. Car dans ces univers, tomber amoureux n’est jamais sans conséquence : aimer, c’est choisir un camp, braver les règles, défier les dieux.
Si la romantasy a conquis les librairies, c’est aussi grâce aux réseaux sociaux, devenus ses champions et ses vitrines. Sur TikTok, dans la nébuleuse désormais célèbre de BookTok, les recommandations enflammées fusent, les vidéos pleurent de joie ou de frustration devant les plot twists, et les héroïnes sont célébrées comme des icônes modernes. Instagram, avec ses flat lays soigneusement composés, transforme chaque couverture en œuvre d’art, et les hashtags (#romantasy, #enemiestolovers, #faeking) résonnent comme autant de mots de passe entre initié·es.
La communauté romantasy est vibrante, inventive, passionnée. Elle s’approprie les récits, prolonge l’univers à travers fanarts, cosplays, discussions, et même réécritures amateures. Les plateformes de lecture en ligne, comme Wattpad ou AO3, regorgent de créations inspirées de ce genre, parfois plus inventives encore que les œuvres originales. Ce phénomène communautaire donne à la romantasy une seconde vie : elle ne se lit plus seule, mais en partage, en conversation, en émulation.
Comme tout genre littéraire, la romantasy possède ses codes – mais ceux-ci sont bien plus malléables qu’on ne le croit. L’un de ses charmes réside dans sa capacité à se réinventer sans cesse. Elle peut être high fantasy, avec des royaumes vastes et des guerres épiques ; elle peut se faire plus urbaine, glissant la magie dans les ruelles sombres de nos cités modernes ; elle peut même flirter avec la dark fantasy, explorant les zones grises de la morale et du désir.
Au cœur de ces récits, on retrouve néanmoins quelques motifs récurrents : le trope de l’ennemi-amant, le fameux enemies to lovers, emblématique du genre ; le triangle amoureux, souvent douloureux, où le choix entre raison et passion devient crucial ; le pacte avec l’interdit – qu’il s’agisse d’un démon, d’un roi fae, ou d’un être maudit. Ces motifs, loin d’être des clichés, sont les incantations nécessaires à l’envoûtement du lecteur. Ils rassurent autant qu’ils bouleversent, et permettent à chacun de projeter ses propres fantaisies, ses propres vertiges.
Mais cet amour pour la romantasy ne va pas sans son lot de critiques. Certains lecteurs et critiques littéraires lui reprochent sa structure trop codifiée, sa prévisibilité. Les schémas narratifs récurrents – ou tropes – finissent parfois par se répéter à l’excès : l’héroïne orpheline dotée de pouvoirs cachés, l’amant ténébreux au passé tourmenté, le royaume à sauver ou à reconquérir. Si ces figures peuvent être jouissives quand elles sont bien utilisées, elles peuvent aussi donner l’impression d’un manque de renouvellement, voire d’un certain opportunisme éditorial.
D’autres critiques visent la dimension émotionnelle jugée « excessive », ou le style parfois jugé simpliste de certaines œuvres populaires. Pourtant, cette tension entre accessibilité et profondeur est aussi ce qui fait la force du genre : il s’adresse à un large public tout en permettant des lectures multiples. Et s’il est vrai que certaines histoires suivent des canevas attendus, d’autres brisent les codes avec virtuosité. La romantasy est un terrain de jeu vaste, où le conventionnel et l’inédit cohabitent, se nourrissent, s’interrogent.
Pourquoi la romantasy séduit-elle autant aujourd’hui, notamment un lectorat jeune et majoritairement féminin ? Peut-être parce qu’elle offre un espace de transgression douce, où l’on peut à la fois rêver d’amour absolu et de liberté totale. Dans ces récits, les héroïnes ne se contentent plus d’attendre le prince : elles brandissent l’épée, pactisent avec les ombres, prennent leur destin en main. Elles tombent amoureuses, certes, mais sans jamais renoncer à elles-mêmes.
La romantasy épouse ainsi les préoccupations contemporaines : elle parle d’émancipation, de pouvoir, de choix. Elle autorise la sensualité sans la honte, l’ambition sans le châtiment. Elle célèbre l’intensité des émotions, dans une époque qui les juge parfois excessives. Elle refuse la tiédeur, et c’est peut-être là sa plus belle audace.
Dans un monde de plus en plus désenchanté, elle réenchante l’amour en lui redonnant une dimension mythique. Elle dit que l’amour peut déplacer les montagnes – ou du moins, les royaumes. Qu’il peut être une arme, une rédemption, un cataclysme. Elle redonne au sentiment amoureux une ampleur épique, digne des chants anciens et des grandes épopées.
Ce qui frappe dans la romantasy, c’est ce grand écart permanent entre l’intime et le spectaculaire. D’un côté, des scènes de tendresse murmurée, des regards chargés de tension, des mains effleurées dans l’obscurité ; de l’autre, des batailles titanesques, des sortilèges anciens, des trônes à conquérir. Et pourtant, ces deux dimensions ne s’opposent jamais : elles se répondent, se nourrissent. La guerre extérieure reflète souvent le tumulte intérieur. La quête de pouvoir devient la métaphore d’une quête de soi, et l’amour, la clé du royaume caché.
Ce sont des romans qui se lisent autant avec le cœur qu’avec l’imaginaire. On y pleure, on y frémit, on y rêve. On y retrouve cette sensation presque oubliée de lecture totale, viscérale, où l’on tourne les pages avec une fébrilité enfantine, avide de savoir si l’élue succombera au prince maudit, si le monde survivra à leur union interdite.
Il y a quelque chose de profondément consolateur dans la romantasy. Elle nous rappelle, dans un monde saturé de cynisme, que l’amour peut être grand, sauvage, indomptable. Qu’il peut guérir les blessures, renverser les empires, bouleverser les lois du réel. Elle nous murmure, page après page, qu’il n’est pas honteux de rêver, d’aimer à en trembler, de croire encore aux serments murmurés dans la nuit.
En ce sens, la romantasy n’est pas seulement un genre littéraire. C’est un talisman. Un sortilège ancien et nouveau, inscrit dans les marges des grimoires modernes. Une invitation à laisser la magie entrer – non pas seulement dans les livres, mais dans nos vies.
Et peut-être est-ce cela, le plus beau des enchantements.
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