Publié le mardi 22 avril 2025 dans « Articles »
Il y a, dans le rituel de l’écriture, une certaine solennité discrète. Un calme intérieur qui s’installe comme une nappe sur la table encore vide de mots. Le romancier s’assied, le monde autour de lui s’efface à mesure que naît un univers nouveau sous ses doigts. Mais avant que la première phrase ne trouve son élan, avant que les personnages n’entrent en scène, il faut un geste, souvent le même, rassurant, presque sacré : verser du café dans une tasse.
Boire du café en écrivant un roman, c’est bien plus qu’un simple acte de consommation. C’est une communion silencieuse entre la chaleur liquide et la pensée incandescente. C’est offrir à son esprit l’amertume nécessaire pour affronter la page blanche, la vivacité pour bondir d’idée en idée, la constance pour tenir, des heures durant, sur la corde tendue du récit.
Mais alors, quel café choisir ? Quelle infusion noire convient le mieux à l’acte de création littéraire ? L’espresso vif et nerveux ou le café filtre qui s’attarde comme une phrase bien balancée ? Le latte crémeux qui console ou l’americano sobre qui stimule ? Entrons dans cette géographie sensorielle de l’écrivain à la tasse.
L’espresso est une gifle d’arôme. Court, serré, il n’attend pas. Il jaillit dans la tasse comme une idée soudaine, une inspiration urgente. Il ne se boit pas, il se prend. Il n’est pas là pour tenir compagnie mais pour donner l’impulsion.
L’écrivain qui choisit l’espresso est souvent celui qui travaille par éclairs. Il note, il rature, il se redresse soudainement, poussé par une phrase venue de nulle part. Il écrit vite, en haletant presque. L’espresso accompagne ces moments de transe créative, il est le carburant de la fièvre.
Un double ristretto au petit matin, dans une cuisine encore silencieuse, peut suffire à ouvrir un chapitre entier. Il donne au texte un rythme. Il installe une tension, une nervosité parfois nécessaire pour des scènes de conflit, de passion, de révélation.
Mais attention : l’espresso est impétueux. Il ne tolère pas les lenteurs. Il convient pour les jaillissements, non pour les longues traversées. Pour les marathons narratifs, mieux vaut un autre allié.
Le café filtre est le compagnon patient. Il s’écoule lentement, goutte à goutte, comme l’écriture elle-même parfois. Il exige un certain temps. Il oblige à s’arrêter, à écouter l’infusion, à sentir l’odeur qui monte comme une promesse.
L’écrivain qui boit du café filtre est souvent un bâtisseur. Il pose des briques, une à une. Il laisse ses personnages vivre leur quotidien, il construit une atmosphère. Il n’est pas pressé. Il accepte les digressions, les silences.
La carafe posée sur le bureau, un mug large entre les mains, il regarde la pluie tomber derrière la fenêtre et décrit, mot après mot, ce que cela fait d’être seul dans une cuisine en novembre. Le café filtre n’est pas spectaculaire. Il est fidèle. Il vous accompagne sans vous heurter. Il est idéal pour les longues sessions d’écriture, pour les jours où l’on ne quitte pas son roman pendant huit heures.
Et surtout, il est généreux. Il permet de multiples recharges sans provoquer cette fébrilité qui trahit la main trop nerveuse. Il soutient, doucement.
Parfois, écrire est un combat. Il faut sortir des zones douloureuses, plonger dans ses souvenirs ou affronter des fantômes. Dans ces moments-là, le café noir peut paraître trop brutal, trop nu. Il faut un réconfort, une chaleur arrondie.
Le latte est alors parfait. Ce nuage de lait, cette onctuosité qui tempère l’amertume, c’est la tendresse dans la tempête. L’écrivain qui choisit un latte cherche la consolation dans la tasse. Il écrit des choses fragiles. Il parle d’amour, de perte, d’enfance. Il a besoin d’un cocon.
Le latte peut ralentir, certes. Il invite à la rêverie plus qu’à la tension. Il est l’ami du poète, du diariste, du romancier intimiste. Il se marie bien avec le carnet Moleskine et l’encre violette. Il évoque un chat sur les genoux, une playlist de piano, un après-midi de février.
Mais sous son apparente douceur, il recèle une puissance : celle de permettre à l’écrivain de descendre plus profondément en lui-même, parce qu’il se sent en sécurité.
Entre l’espresso trop fulgurant et le filtre trop familier, il y a le compromis élégant : l’americano. Allongé, sans être dilué. Noir, mais moins abrupt. Il est la boisson de l’écrivain urbain, celui qui écrit dans un café, les écouteurs sur les oreilles, un roman de Paul Auster dans le sac.
L’americano a quelque chose de cinématographique. Il vous permet d’écrire une allure de film indépendant. Il accompagne les intrigues modernes, les récits fragmentés, les dialogues rapides. Il est américain, certes, mais universel dans son style.
On le boit tiède, en plusieurs gorgées. On l’oublie parfois, pour y revenir plus tard, quand le paragraphe est terminé. Il est discret, mais fiable. Il ne perturbe pas la concentration, il la prolonge.
Et puis, il y a les jours d’été. Ceux où le soleil tape contre les vitres et où le ventilateur est l’unique compagnie. L’écriture devient alors une lutte contre la torpeur. Les phrases collent un peu. L’esprit fatigue vite.
C’est là que le café glacé entre en scène, rafraîchissant et tonique. Il réveille sans brûler, il stimule sans étouffer. Il est le café des récits de voyage, des scènes de plage, des souvenirs d’adolescence.
Servi avec des glaçons ou en cold brew, il aide l’écrivain à rester vif sous la chaleur. Il est aussi esthétique : une belle boisson, translucide, hypnotisante. Parfait pour Instagram, si cela fait partie du rituel.
Mais attention, il a une certaine superficialité. Il est agréable, certes, mais ne pousse pas forcément à la profondeur. Il est le café de la légèreté, des nouvelles courtes, des essais sur l’instant.
Enfin, il faut parler du décaféiné. Trop souvent moqué, il a pourtant sa place dans la routine du romancier. Car il arrive un moment, après cinq tasses, où l’on veut encore le geste sans les effets. La chaleur sans la tension.
Le décaféiné est une forme de mensonge assumé. Il dit : « Je continue », mais en réalité, il ralentit. Il prépare au soir. Il est l’ultime tasse avant de relire, avant de corriger. Il est le café de l’apaisement, de la réconciliation.
Certains écrivains n’écrivent qu’avec du décaféiné, pour rester calmes, lucides, pour ne pas confondre vitesse et efficacité. D’autres l’intègrent au moment des relectures, quand l’énergie brute n’est plus nécessaire, et qu’il faut affiner, tailler, ciseler.
Choisir son café, ce n’est pas anodin. C’est choisir son rythme, son climat intérieur, son style même. Il y a dans chaque tasse une promesse, un tempérament. Le café devient une encre parallèle, une matière narrative.
Certains écrivains n’en boivent pas. Ils préfèrent le thé, l’eau, ou rien. Mais ceux qui aiment le café savent qu’il est plus qu’un breuvage : il est une présence, une habitude qui balise les heures de travail, un marqueur de chapitre.
On peut écrire un roman entier avec une cafetière italienne en fond sonore, ou en commandant chaque matin un flat white au même barista. L’important n’est pas tant le type de café, mais le lien intime qu’on tisse avec lui, jour après jour, page après page.
Car au fond, ce que l’on cherche dans le café, ce n’est pas seulement l’éveil. C’est une forme de pacte : je te bois, tu me tiens, je t’écris.
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