Dans l’imaginaire collectif, publier un livre passe par une maison d’édition traditionnelle qui sélectionne un manuscrit, investit dans sa fabrication et accompagne l’auteur jusqu’à la mise en librairie. Mais ce modèle, exigeant et sélectif, laisse de nombreux écrivains sur le bord du chemin. C’est là qu’apparaissent les maisons d’édition à compte d’auteur, souvent présentées comme une alternative « simple » et « rapide » pour publier son livre, mais dont le fonctionnement, les promesses et les contrats méritent d’être examinés avec attention.
De nombreuses structures brouillent volontairement les pistes en se présentant comme des « maisons d’édition » alors qu’elles fonctionnent en réalité comme des prestataires facturant des services éditoriaux. Leur modèle économique n’a rien à voir avec celui d’une maison d’édition traditionnelle : ici, c’est l’auteur qui paie.
Cet article vise à éclairer ce fonctionnement souvent mal compris, à détailler les avantages et les désavantages, à donner des exemples de structures relevant du compte d’auteur, et à analyser un contrat type, notamment à partir de celui des éditions Baudelaire, maison souvent citée comme représentative du modèle.
Compte d’éditeur, compte d’auteur, autoédition : comprendre les différences
Avant de parler des maisons d’édition à compte d’auteur, il est essentiel de clarifier trois modèles :
1. Le compte d’éditeur (édition traditionnelle)
- La maison d’édition sélectionne.
- Elle finance entièrement : correction, maquettage, impression, diffusion, promotion.
- L’auteur perçoit des droits d’auteur (5 à 12 % en général).
- Aucune contribution financière de l’auteur.
C’est le modèle « légitime » et professionnel de l’édition.
2. Le compte d’auteur
- L’auteur finance tout ou partie des prestations.
- La maison facture un « forfait » ou des prestations à la carte.
- La société ne prend aucun risque financier : c’est l’auteur qui porte l’intégralité du risque.
- Peu ou pas de sélection : tout manuscrit est accepté, à condition que l’auteur paie.
- Le compte d’auteur est souvent présenté sous des appellations plus séduisantes comme « coédition » ou « édition à compte participatif », expressions utilisées pour masquer un modèle où l’auteur contribue financièrement à la publication.
3. L’autoédition
- L’auteur gère lui-même la production (Amazon KDP, Librinova mode autoédition, Bookelis, etc.)
- Investissement souvent inférieur.
- Liberté totale, mais travail conséquent.
Les maisons à compte d’auteur se situent très clairement dans la deuxième catégorie, avec parfois une rhétorique marketing proche de l’édition traditionnelle pour attirer des novices.
Comment reconnaître une maison d’édition à compte d’auteur ?
Certaines maisons se présentent comme des « éditeurs » classiques tout en utilisant un vocabulaire ambigu : « participation financière », « coédition », « partenariat éditorial », « contribution à l’édition », etc.
Des signes ne trompent pas :
- Acceptation quasi systématique de tous les manuscrits.
- Envoi rapide d’un contrat sans travail éditorial préalable.
- Promesses vagues sur la diffusion.
- Contrats prévoyant une facturation à l’auteur (correction, mise en page, impression, promotion…).
- Faux discours sur une « évaluation interne » pour donner une impression de sélection.
Exemples de maisons d’édition à compte d’auteur (ou assimilées)
Voici quelques acteurs souvent cités comme travaillant sur un modèle à compte d’auteur, de coédition ou hybride. Cette liste n’est ni exhaustive ni un jugement, mais un constat basé sur leur modèle économique déclaré (facturation à l’auteur).
- Éditions Baudelaire : maison spécialisée dans le modèle à compte d’auteur, avec de nombreux retours d’auteurs indiquant des coûts élevés et une diffusion limitée. Leur contrat type (PDF) est souvent utilisé comme exemple représentatif du compte d’auteur.
- Édilivre (mode « Club Auteurs ») : propose certaines offres gratuites, mais de nombreux services sont payants ; considéré comme hybride.
- Amalthée Éditions : modèle de « coédition » incluant une participation financière de l’auteur.
- Jets d’Encre : publication payante, participation obligatoire.
- Hello Éditions : structure fonctionnant sur un modèle de services éditoriaux rémunérés, avec participation financière de l’auteur.
- Le Lys Bleu Éditions : souvent citée pour ses contrats à contribution.
Attention : certaines de ces structures se présentent comme « éditeurs traditionnels » alors qu’elles fonctionnent dans les faits comme prestataires de services.
Pourquoi ces maisons attirent-elles autant d’auteurs ?
Publier un livre est un rêve fort. Les refus répétés des maisons traditionnelles peuvent générer frustration et découragement. Les maisons à compte d’auteur exploitent cette frustration en promettant :
- Une publication rapide
- Une prise en charge « professionnelle »
- Une diffusion « nationale »
- Une couverture « digne des meilleurs éditeurs »
Pour un auteur en quête de légitimité, ces promesses peuvent sembler irrésistibles.
Les avantages du compte d’auteur
Même si ces structures sont souvent critiquées, elles présentent certains avantages réels :
1. Une porte ouverte aux manuscrits refusés
Aucun tri sévère. Si vous payez, vous publiez. Pour un auteur qui souhaite voir son texte imprimé coûte que coûte, cela peut représenter un soulagement.
2. Une gestion clé en main
Correction, mise en page, impression, ISBN : tout peut être géré par la maison. L’auteur n’a pas à apprendre l’autoédition.
3. Une prise en charge du stress administratif
L’éditeur gère la fabrication matérielle du livre, ce qui peut être rassurant.
4. Un produit fini souvent soigné
Les livres publiés à compte d’auteur sont souvent de bonne qualité matérielle (maquette, couverture).
5. Pour certains projets personnels
Les maisons à compte d’auteur peuvent convenir :
- aux mémoires familiales,
- aux livres pour un cercle restreint,
- aux projets non commerciaux.
Les inconvénients (parfois lourds)
1. Un coût souvent très élevé
Les forfaits varient entre 600 € et 6000 € (parfois plus), selon les prestations :
- correction
- mise en page
- impression
- promotion
- « mise en librairie »
- envois presse, etc.
Certaines maisons utilisent des techniques commerciales agressives :
- appels répétés
- promotions « qui se terminent ce soir »
- rabais illusoires
2. Une diffusion souvent quasi inexistante
Malgré des promesses séduisantes :
- Très peu de librairies acceptent les livres à compte d’auteur.
- Le livre est « disponible sur commande », ce qui n’est pas une vraie mise en rayon.
- Pas de représentants commerciaux formés.
- Peu ou pas de promotion réelle.
L’auteur se retrouve souvent seul à vendre ses livres.
3. Un investissement rarement rentable
Entre le coût de publication et la faible visibilité :
- Les ventes dépassent rarement 30 à 80 exemplaires (statistiques usuelles dans l’édition).
- L’auteur ne récupère presque jamais son investissement.
4. Une confusion volontaire avec l’édition traditionnelle
De nombreuses maisons jouent sur :
- l’ambiguïté des termes (« coédition », « partenariat »),
- l’absence de risque de leur part,
- la psychologie de l’auteur débutant.
5. Un risque d’atteinte à la crédibilité
Dans le milieu littéraire, publier à compte d’auteur peut être perçu comme :
- une absence de sélection,
- une forme de « vanity press ».
Cela n’enlève rien à la qualité d’un texte, mais peut influencer l’image.
Analyse d’un contrat à compte d’auteur
(Exemple : téléchargez le contrat type des Éditions Baudelaire)
Sans citer mot pour mot le contenu du PDF, voici les points caractéristiques que l’on retrouve dans ce type de contrat ; et que l’on retrouve notamment dans celui des Éditions Baudelaire, utilisé comme exemple pédagogique.
1. Une « contribution financière » obligatoire
Le document détaille un montant que l’auteur doit verser pour :
- la correction,
- la composition,
- l’impression,
- la maquette,
- la mise en ligne.
C’est le cœur du modèle du compte d’auteur.
2. Un transfert de droits partiel ou total
Malgré le fait que l’auteur paie, le contrat peut mentionner :
- cession de droits d’exploitation,
- exclusivité,
- durée parfois longue,
- territoire étendu.
L’auteur finance et cède les droits.
3. Un nombre d’exemplaires vendus non garanti
De nombreux contrats promettent une « disponibilité » mais :
- aucun engagement de placement en librairie,
- aucune obligation de promotion réelle,
- aucun tirage significatif.
4. Une rémunération de l’auteur très faible
Les pourcentages sont parfois similaires à ceux de l’édition traditionnelle…
… alors que c’est l’auteur qui finance son livre.
5. L’achat obligatoire de livres par l’auteur
Certains contrats imposent :
- un nombre d’exemplaires à acheter,
- ou incitent fortement à le faire.
6. Un discours marketing très flatteur
Le contrat peut comporter des éléments de langage valorisants :
- « comité de lecture »
- « sélection »
- « qualité littéraire »
Alors qu’en réalité l’acceptation est systématique.
Faut-il publier avec une maison à compte d’auteur ?
La réponse dépend de vos objectifs.
Oui, si :
- vous voulez un livre imprimé rapidement,
- le but n’est pas commercial,
- le budget ne pose pas problème,
- vous voulez déléguer toute la partie technique.
Non, si :
- votre objectif est d’intégrer le circuit littéraire,
- vous souhaitez être pris au sérieux par les éditeurs,
- vous comptez sur une vraie diffusion en librairie,
- vous souhaitez vivre de vos droits d’auteur.
Dans ce cas, mieux vaut :
- viser l’édition traditionnelle,
- ou opter pour l’autoédition professionnelle (bien moins coûteuse et plus rentable).
Un modèle à utiliser en connaissance de cause
Les maisons d’édition à compte d’auteur ne sont pas des « arnaques » au sens strict : elles vendent un service réel. Mais leur communication peut être trompeuse, car elles se présentent comme des éditeurs investissant dans un texte, alors qu’elles fonctionnent en réalité comme des prestataires facturant des services éditoriaux parfois très chers.
Le futur auteur doit donc :
- lire attentivement le contrat,
- comparer avec l’autoédition,
- évaluer la crédibilité de l’éditeur,
- ne pas se laisser séduire par les flatteries du « comité de lecture »,
- réfléchir à son objectif final.
Publier un livre est un moment fort. Autant le faire en connaissance de cause.






